A 10 ans et 5 ans, les aînés d’Émilie ont parlé 4 langues, ils ont vécu dans 5 pays et ont connu 3 systèmes scolaires différents. Émilie est française, son conjoint est grec. Ils se sont rencontrés aux Pays-Bas. Ce couple binational n’a jamais vécu dans le pays de l’un ou de l’autre. Leurs enfants sont nés à Dubaï et à Stockholm. Au fil des mutations de leurs parents, les enfants ont grandi avec plusieurs langues, se sont adaptés à des pays, à des cultures et à des écoles bien différentes. J’ai trouvé l’histoire de la famille d’Émilie tellement riche et variée que la raconter est pour moi un beau partage d’expérience avec les autres familles multilingues et multi-expatriées.
Dubaï, le Royaume Uni, la Suède
Joseph nait à Dubaï où ses parents travaillent. Émilie lui parle uniquement en français, son papa en grec et le couple se parle en anglais. Au moment de leur rencontre, son futur conjoint parle le français qu’il a appris à l’école en Grèce, mais Émilie ne parle pas grec. Elle l’apprendra sans cours formel, juste en vivant ensemble. Joseph est gardé par une nounou qui parle anglais.
Lorsque Joseph a un an et demi, la famille déménage au Royaume-Uni. Joseph va alors à la crèche publique et vit confortablement entouré de ses 3 langues. Il commence à dire ses premiers mots. L’aventure britannique sera courte car la famille est mutée 18 mois plus tard en Suède. Joseph a 3 ans, l’âge de la petite section. « Nous voulions que nos enfants soient scolarisés à l’école française car nous savions que nous serions amenés à changer de pays et nous voulions une continuité pour eux, explique Émilie. Nous pensons que ce système est excellent et nous avons décidé que les enfants prendraient des cours de grec à côté dans le but de le maitriser aussi bien que le français d’un point vue académique. »
Mais arrivés à Stockholm, le lycée français affiche complet. La maternelle n’étant pas obligatoire en France, le lycée n’a aucune obligation de les scolariser. Joseph sera sur liste d’attente pendant 3 ans et n’obtiendra une place qu’à leur départ. Leur petit garçon parlant déjà anglais, Émilie et son conjoint envisagent une école internationale mais ils sont vite refroidis par les frais de scolarité très élevés. Ils décident donc de mettre Joseph à l’école publique suédoise.
L’incroyable expérience suédoise
La Suède a une politique unique concernant le développement des langues maternelles. Chaque enfant parlant une ou plusieurs autres langues se verra proposé dans son école des cours par un enseignant bilingue. Ainsi Joseph a pu bénéficier de cours de français, de grec et d’anglais, tout en apprenant le suédois. Il s’épanouit dans les 4 langues dans un environnement bienveillant et respectueux.
La famille s’agrandit avec une petite Alkisti. Pour elle, l’apprentissage des 4 langues est plus difficile et elle privilégiera le suédois aux autres langues jusqu’à ses 3 ans. C’est la langue du jeu et les enfants se parlent en suédois. Émilie et son conjoint ne le parlent presque pas car tous deux travaillent en anglais. « C’était assez curieux tout de même de les entendre se parler en suédois alors que nous avions 3 autres langues pour communiquer à la maison. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’ils se racontaient. », se souvient Émilie. « Au tout début, Joseph m’aidait à traduire ce que disait Alkisti car elle s’exprimait uniquement en suédois ! ».
Lorsqu’il a l’âge de la Grande Section de maternelle, Joseph va tous les samedis prendre des cours de français de 2 heures auprès de l’association FLAM (Français LAngue Maternelle) en face de chez lui. Avec ses camarades francophones ils suivent le programme français de Grande Section. Dans le système scolaire suédois, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se fait à 7 ans, soit l’âge du CE1 en France. A l’équivalent du CP, Joseph est donc dans une classe intermédiaire, entre la maternelle et le primaire, qui le prépare à ces apprentissages. Il écrit en lettres capitales et apprend à compter.
A l’école suédoise, les enfants apprennent surtout à avoir confiance en eux, à être à l’aise en public et à respecter leur prochain. Les enfants doivent jouer avec TOUS leurs camarades, personne ne doit être rejeté. « On leur parle d’intégration, d’abolition du genre féminin/masculin : certaines écoles utilisent un genre neutre pour désigner les filles et les garçons indifféremment. Un petit garçon peut venir habillé en robe avec du vernis à ongles sans choquer. On ne s’insulte pas, on ne se tape pas. Un STOP de la main suffit à résoudre les problèmes. L’école et les suédois sont très pacifistes et bienveillants. » raconte Émilie. Chaque semaine les enfants passent une journée dehors pour apprendre les « choses de la vie, sur le terrain ». Ils apprennent à traverser la route, à se repérer dans le métro… L’objectif de l’école est davantage de les préparer à être les citoyens de demain plutôt que de privilégier les enseignements académiques comme à l’école française ou anglaise.
« Au-delà d’un système scolaire différent de ce que mon conjoint et moi avions connu enfants, nous avons été frappés par les différences sur les principes éducatifs. En Suède, on ne peut pas dire non à un enfant, c’est presque considéré comme une atteinte morale. L’enfant fait ce qu’il veut, même si on lui explique bien sûr les règles qui régissent le lieu ou les gens qui l’entourent. A l’école les enfants sont libres de participer aux activités ou non, de les terminer ou non, de se lever dans la classe ou d’aller dans une autre pièce. » raconte Émilie.
A la fin de cette année scolaire intermédiaire pour Joseph, la famille déménage à Palo Alto, en Californie. Comme les enfants n’ont pas suivi une instruction scolaire au sens académique du terme, ils vont passer deux mois en France dans le Poitou pour faire une petite transition en découvrant une école plus « classique ».
Le choc de l’école américaine et l’entrée dans le système français
Une fois encore, l’école française affiche complet pour Joseph. Ses parents l’inscrivent donc dans une école privée américaine. En France il serait entré en CP mais aux États-Unis, il faut avoir 6 ans au 1er septembre pour entrer en 1st grade. Or la maîtresse de 1st grade trouve qu’il n’a pas le niveau pour suivre et sans appel, Joseph se retrouve en Kindergarten, l’équivalent de la grande section. Le choc est grand pour lui dans sa nouvelle école, bien qu’il maîtrise très bien l’anglais. Les 6 premiers mois, il s’ennuie car le rythme est lent et certains enfants n’ayant jamais été scolarisés auparavant, ils manquent de maturité. Il met du temps à nouer des amitiés.
Mais surtout, les principes de l’école sont radicalement différents de ce qu’il a connu en Suède. L’école est beaucoup plus stricte et il se sent très contraint, chose qu’il n’avait pas expérimenté auparavant. « Nous l’avions mis dans une école catholique et Joseph ne supportait pas de devoir rester en place pendant la messe hebdomadaire. Les devoirs aussi étaient totalement nouveaux ! » se souvient Émilie. « Bien que d’un point de vue français l’école américaine semble plus cool, quand on vient de Suède, elle paraissait le bagne. »
Émilie et son conjoint souhaitent que Joseph intègre l’école franco-américaine, mais une année scolaire au-dessus pour être en phase avec sa classe d’âge comme en France. Ainsi, Joseph va suivre le programme Scolarité Complémentaire à l’International du CNED au niveau CP. Il s’accroche comme un fou et en février (date des examens), il aura fini le programme grâce au soutien de sa maîtresse de Kindergarten qui a bien compris le cas de Joseph et saura lui donner cette attention individuelle, force de l’école américaine, qui lui permettra de s’épanouir malgré ses débuts difficiles.
Émilie a été très contente des cours du CNED qu’elle a dispensé à Joseph. « Un enseignant correcteur est assigné à chaque enfant et prend le temps de corriger et de fournir un compte rendu enregistré de chaque évaluation. Ces commentaires m’ont beaucoup aidée car je suis ingénieure et non enseignante. Le correcteur a été très strict sur l’écriture cursive, ce qui a été utile pour nous puisqu’aux États-Unis les enfants écrivent en script. »
Pour Alkisti, les choses sont plus simples. Elle entre à l’école franco-américaine en petite section où la compétition est moins féroce. Aux États-Unis, les écoles privées sont chères et beaucoup d’enfants y entrent à partir du Kindergarten.
Pour entrer en CE1 à l’école de sa sœur, Joseph doit passer 2 heures de tests écrits de français, qu’il réussit. L’adaptation à l’école franco-américaine se passe très bien car le choc est moins grand depuis l’école américaine. « Finalement, cette année à l’école américaine aura été une bonne transition pour Joseph car l’école française était encore plus stricte, avec des attentes académiques nouvelles comme le par cœur, la tenue des cahiers, etc.»
Le français, le grec, l’anglais et le suédois
Après leur arrivée en Californie, les enfants abandonnent peu à peu le suédois. « En 6 mois, le suédois a malheureusement été oublié, d’autant plus qu’aucun ne savait l’écrire. », raconte Émilie. L’anglais devient la langue de jeu entre le frère et la sœur. La famille s’est encore agrandi avec Philippa, née en Suède juste avant le déménagement. Cette dernière est à la crèche américaine et maitrise parfaitement l’anglais. Ainsi l’anglais a commencé à prendre une place très importante dans la famille. « Même si je ne leur parlais que français, le papa a commencé à leur répondre en anglais. Erreur à ne pas faire car les enfants comprennent vite qu’ils peuvent enlever une langue de leur répertoire. » a constaté Émilie.
A partir de leur entrée à l’école française, Joseph et Alkisti ont 2 heures de cours académiques de grec le samedi matin à l’école Fanari, l’équivalent de nos associations FLAM à l’étranger. Joseph apprend à lire et à écrire en grec, entouré de copains comme lui. Alkisti se familiarise avec l’alphabet grec et la culture. Émilie et son mari préféraient que l’apprentissage du grec ait lieu après celui du français et de l’anglais car c’est une langue vraiment différente avec un alphabet propre.
Après 3 ans aux États-Unis, la famille déménage à Singapour, Joseph est en milieu de CE2, Alkisti en milieu de grande section et Philippa en milieu de petite section.
Le lycée français de Singapour, un tout nouvel environnement
« En arrivant à Singapour, nous avons enfin bénéficié de la continuité du système français ! », s’exclame Émilie. « Comme nous avons déménagé en cours d’année scolaire, nous étions d’autant plus heureux. Les enfants ont été acceptés chacun dans leur niveau sans test et sur la base de leurs bulletins scolaires. » Les enfants sont ainsi accueillis au Lycée français de Singapour. Contrairement à beaucoup de lycées de l’étranger où la langue de la récré est la langue du pays d’accueil, à Singapour c’est le français. Émilie m’explique : « Les singapouriens n’ont pas le droit de scolariser leurs enfants en école internationale. Seuls les couples mixtes peuvent demander des dérogations. Ainsi, il y a beaucoup de nationalités différentes au lycée, et la langue commune est plus le français que l’anglais. »
Aujourd’hui Joseph est en CM2 en section bilingue. Au collège, s’il réussit le concours d’entrée en section internationale, il aura 3h de cours de littérature anglaise et d’histoire en plus par rapport à ses camarades. En 3ème il pourra passer le Brevet International, et les GCSE de Cambridge en 2nde.
A Singapour, la communauté grecque est plus restreinte et il n’existe pas de structure d’enseignement collectif comme en Californie. Une tutrice vient donner 1 heure de cours de grec par semaine à chacun des 3 enfants. « Joseph est très à l’aise avec ses 3 langues. Pour Alkisti, je dirai que le français est sa langue forte, puis l’anglais et le grec est encore difficile : elle le lit comme une enfant de fin de Grade 1, mais a du mal à tenir une conversation. Avec 1 heure par semaine seulement de cours, et un papa qui a tendance à lui répondre en anglais, j’ai envie de dire que tout va bien ! » conclut Émilie.
Avec du recul…
« Je pense qu’il faut choisir un système scolaire pour avoir une continuité lors des mutations. Choisir le système qui convient nécessite une vision à long terme : est-ce que mes enfants iront étudier en France ? En Europe ? Aux USA ? Suis-je prêt à payer des frais de scolarité élevés pour l’université, sachant que depuis la maternelle nous payons déjà 60K USD par an ?
Tous les étés nous rentrons en France et en Grèce. Il est important que les enfants gardent un contact avec leur pays d’origine et comprennent la culture de leurs pays en plus de la langue apprise académiquement. »
Un immense merci à Émilie qui a eu la générosité de partager son histoire de famille multilingue, nous souhaitons à tous les 5 que ce formidable épanouissement culturel et linguistique continue ainsi !