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Apprendre à lire et à écrire en 2 langues

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Apprendre à lire est une étape majeure pour tous les enfants et dans le cas des enfants bilingues, les parents se trouvent souvent démunis sur la façon de s’y prendre. Encore plus quand les enfants ne sont pas scolarisés dans une école bilingue dont ce serait la mission.

Le souhait des parents francophones expatriés ou des couples de nationalités différentes est souvent que leurs enfants sachent lire et écrire dans les 2 langues qu’ils parlent. Et lorsqu’ils doivent prendre en charge tout ou partie de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, de nombreuses questions apparaissent : à quel âge commencer ? Faut-il le faire en même temps que l’école enseigne l’apprentissage de la lecture dans l’autre langue ? Faut-il commencer l’écriture en même temps ? La méthode syllabique avec laquelle nous avons appris à lire est-elle toujours d’actualité ?

Juliette de Chaillé - Responsable des programmes expatriés du Cours GriffonPour répondre à toutes ces interrogations que nous recevons régulièrement, nous avons fait appel à Juliette de Chaillé, professeure de français, responsable des familles expatriées au Cours Griffon et maman expatriée. Dans cette interview, elle partage son expérience et ses recommandations pour vous permettre d’accompagner au mieux vos enfants bilingues dans l’apprentissage de la lecture en 2 langues.

Lire et écrire quand on est bilingue, les réponses de l’experte

Bonjour Juliette, merci d’avoir accepté de répondre aux questions de nombreux parents francophones dont les enfants vivent en plusieurs langues. Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous souhaiterions que vous puissiez vous présenter à nos lecteurs.

Quelle est votre expérience sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez les enfants expatriés ?

Je suis enseignante de français pour les enfants bilingues depuis 9 ans, et responsable du programme expatriés du Cours Griffon qui s’adresse aux enfants bilingues expatriés, scolarisés en école locale et souhaitant maintenir un bon niveau de français en parallèle.

Je suis maman de 3 enfants bilingues, élevés à l’étranger depuis 10 ans, scolarisés en écoles anglaises et américaines. J’ai toujours enseigné le français à mes enfants en parallèle, et notamment la lecture – écriture. J’étais terrifiée pour mon ainée, à l’idée que son avenir scolaire repose en grande partie sur mon enseignement de la lecture – écriture. Et si je m’y prenais mal ? Et si je choisissais la mauvaise méthode ? Cela s’est très bien passé, et c’est aujourd’hui un très grande lectrice, en anglais comme en français.

Pour le 2e, plus confiante, j’ai repris la même méthode, pensant que ce serait facile. Eh bien non ! ce qui fonctionne pour un enfant ne fonctionne pas forcément pour l’autre. Et c’est la grande leçon que j’ai tirée de cette expérience. La lecture, et encore plus dans un contexte bilingue, n’est pas une science exacte et il n’y a pas de vérité générale quant à l’âge ou à la méthode d’apprentissage.

Et c’est ainsi qu’année après année, expatriation après expatriation, à travers l’apprentissage de mes enfants, de mes élèves et de leurs parents, à travers des formations,  j’ai développé un intérêt et une connaissance théorique et pratique dans le domaine de la lecture – écriture pour les enfants bilingues.

Un livre en français et un livre en anglais

À partir de quel âge peut-on apprendre à lire à un enfant ?

C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre de façon précise car la réponse dépendra des capacités acquises par l’enfant (coordination motrice, organisation visuelle, amplitude du vocabulaire, capacité d’écoute), de sa maturité, de son environnement et de son intérêt pour l’apprentissage. Cela en fait des variables ! Ce qui est sûr c’est que presser un enfant à la lecture peut être contre-productif et peut générer de la frustration.

À partir de 3 ans et jusqu’à 5 ans, l’enfant, selon son intérêt ou pas pour la lecture, peut commencer à entrer en contact avec le langage écrit. Les traits, les jeux, les dessins, connaître quelques lettres ou mots peuvent éveiller son intérêt pour le langage écrit. Mais l’important est avant tout de développer l’oral en premier.

Le niveau à l’écrit dépendra du niveau de l’oral. Cette acquisition n’est pas un apprentissage « technique ». L’apprentissage dépasse largement le cadre de l’école. Il s’enracine dans les expériences familiales et culturelles.

De 10 à 20 mois, la progression du vocabulaire compris est relativement lente, mais entre 20 mois et 6 ans, elle est exponentielle : environ 1,5 nouveau mot par jour ! D’où l’importance cruciale de lire des histoires aux enfants dès le plus jeune âge, et même mieux : des histoires de bon niveau littéraire (malheureusement un peu en voie de disparition dans la littérature enfantine aujourd’hui…), avec un vocabulaire soutenu et des tournures de phrases complexes, même si cela paraît difficile au premier abord.

Selon les pays, on initie l’enfant aux activités de lecture et d’écriture à proprement parler vers 5 ou 6 ans. Par exemple dès le Kindergarden aux USA (5 ans) ou en CP en France (6 ans). Pour certains enfants, cela peut être soit trop tôt, soit trop tard, car à cet âge-là, 6 mois ou 1 an de plus peuvent faire une différence énorme… mais le système scolaire doit bien trancher à un moment donné !
Un enfant de fin d’année par exemple (né en novembre ou décembre) sera potentiellement moins mature qu’un enfant né en février en mars, pourtant dans la même classe de CP. C’est un critère non négligeable à prendre en compte lorsqu’on peut choisir le moment de démarrage de la lecture.

De la même manière, avant de vous inquiéter face aux difficultés de lecture de votre enfant, et de lui (vous ?) mettre la pression, rappelez-vous que les enfants ont jusqu’à la fin du CE1 pour acquérir les apprentissages fondamentaux et que ce n’est pas parce qu’il ne lit pas encore couramment qu’il met son avenir scolaire en danger ! Il a tout simplement besoin d’un peu plus de temps que « la moyenne » de la classe. Et cela est d’autant plus vrai pour un enfant scolarisé dans une autre langue que sa langue maternelle.

Petite fille en train d'apprendre à lire
Crédit photo Freepick

Faut-il apprendre la lecture dans 2 langues de manière simultanée ou consécutive ?

Grande question ! Qui m’est posée très régulièrement et à laquelle de nouveau, on ne peut répondre de façon tranchée. Il y a presque autant de réponses que d’enfants et de situations (type d’expatriation, type de bilinguisme, langue majoritaire / minoritaire, etc.)

Avant tout, il faut désamorcer les grandes idées reçues :

  • Le bilinguisme surcharge le cerveau de l’enfant et provoque des troubles et des retards de langage.
  • Mieux vaut bien apprendre la lecture en français avant d’entamer l’apprentissage de la lecture dans une autre langue… ou inversement…
  • Si l’enfant mélange ses deux langues, il vaut mieux qu’il n’en utilise qu’une.
  • Scolariser un enfant dans une autre langue augmente les risques de difficultés scolaires.
  • Apprendre à lire dans une langue interfère négativement avec l’apprentissage dans une autre langue.

Tout cela est faux. Pour ma part, je propose toujours de partir de 2 grands principes :

Approuvé par Devenir BilingueOui, apprendre à lire dans deux langues en même temps est tout à fait possible ! De nombreux enfants y arrivent. La grande majorité des études psycholinguistiques montre que l’apprentissage simultané de la lecture en 2 langues est non seulement possible, mais présente même des avantages pour les enfants. Le cerveau de l’enfant n’est pas surchargé par le bilinguisme, mais bien stimulé par celui-ci ! Le cerveau d’un bilingue est tout simplement différent de celui d’un monolingue (notamment au niveau de l’aire de Broca), il est façonné par le bilinguisme qui lui permet de développer de grandes capacités de concentration, d’actions simultanées et une plasticité cérébrale plus développée.

Approuvé par Devenir BilingueOn n’apprend à lire qu’une seule fois ! Que l’on apprenne la lecture en 2 langues en simultané ou de manière consécutive, la découverte du B-A-BA et du principe de la combinatoire ne se fait qu’une seule fois. Une fois qu’on sait lire dans une langue, on sait lire dans une autre langue (qui a le même alphabet toutefois), même si on ne maîtrise pas parfaitement la prononciation de certaines lettres / sons.
En fait, apprendre à lire dans une langue interfère généralement positivement avec l’apprentissage dans l’autre langue, cela prépare le terrain pour apprendre à lire dans l’autre langue. Ensuite, ce n’est plus qu’une question de vases communicants entre les deux langues. L’enfant va avancer en balancier, avec des périodes alternatives de surinvestissement dans l’une ou l’autre langue. Ce qu’il va comprendre dans une langue va lui servir dans l’autre langue et, inconsciemment, il va appliquer dans une langue les mécanismes acquis dans l’autre langue. Et au final, tout s’équilibrera, avec le temps (patience, confiance, bienveillance …).

Avec ces principes en tête, il y a plusieurs cas :

Dans le cas d’un élève de 5-6 ans, bilingue, déjà attiré par la lecture et d’un tempérament plutôt scolaire et travailleur, je recommande aux parents de démarrer le programme de CP français dès le Kindergarten américain ou la Y1 anglaise, au moment donc où il va apprendre à lire en anglais (ou en allemand, espagnol, italien… dans les autres pays). L’apprentissage simultané devrait se faire sereinement, en balancier. Si ce n’était pas le cas, et cela arrive, il vaut mieux faire une pause et reprendre le français l’année suivante.

Mais de nombreuses variables peuvent m’amener à conseiller d’attendre 1 année de plus, pour le bien être de l’enfant (et donc de ses parents 😉 ). Je pense notamment à 4 éléments:

  • la date de naissance : un enfant de fin d’année peut être plus fragile en matière de maturité. Commencer le français plus tard lui permettra de l’aborder avec confiance, car il saura déjà lire en anglais et il n’aura pas à refaire cet apprentissage de la lecture, il lui faudra seulement réinvestir ce qu’il sait déjà faire, en français.
  • le profil et la motivation de l’enfant : un enfant pas très scolaire, qui ne démontre pas d’intérêt particulier pour la lecture, voire qui refuse de parler français , n’aura pas la motivation nécessaire pour gérer de front la lecture dans les 2 langues. Mieux vaut faire les choses par étapes et laisser l’année de plus faire son œuvre.
  • les types de bilinguisme : il faut distinguer le bilingue précoce (L1 et L2 en simultané entre la naissance et 3 ans) et le bilingue consécutif (l’apprentissage de la L2 a lieu après 3 ans). Un bilingue consécutif doit déjà déployer une énergie importante pour comprendre sa langue de scolarisation, mieux vaut parfois l’économiser et lui laisser un peu plus de temps. Le bilinguisme peut également être subi, mal vécu pour les enfants comme pour les parents, et cela crée un terrain défavorable, qui peut s’améliorer avec le temps.
  • des alphabets différents : des alphabets identiques vont faciliter les choses car les habiletés nécessaires dans une langue se transfèreront à la seconde. En revanche, par exemple le chinois est un système différent du français : il est idéographique. Les principes d’acquisition de ces deux types de systèmes sont différents. Le chinois se fonde d’abord sur la compréhension visuelle, iconique. Il pourra donc être judicieux de ne pas apprendre la lecture en même temps dans les 2 langues.

Toutes ces variables peuvent bien sûr être tout à fait bien vécues par certains enfants ayant des facilités pour les langues ou une maturité avancée, et dans ce cas il ne faut pas attendre.

L’essentiel est de se poser les bonnes questions, de bien cerner le profil de son enfant et surtout, de se dire que « perdre » un an n’est pas grave et c’est en réalité plutôt « gagner » un an et s’épargner le risque de tensions et de blocages.

Petit garçon lisant un livre
Crédit photo Freepick

Quelle méthode employer ? Avez-vous des recommandations ?

Je recommande une méthode syllabique ou alphabétique qui passe par l’apprentissage systématique du code (encore appelé : la combinatoire, b.a.ba). Cela permet à l’enfant de déchiffrer, et non de deviner, et ainsi d’être capable de déchiffrer aussi dans d’autres langues. Au Cours Griffon, nous proposons une méthode dite d’écriture-lecture (méthode Papyrus – Grip éditions) car nous pensons que l’écriture est inséparable de la lecture et qu’il faut commencer l’étude du phonème par le passage à l’écrit. Phonologie, écriture et enfin lecture sera l’ordre à respecter pour une réussite de tous les élèves.

Notre programme de CP pour les enfants expatriés s’attache à équilibrer l’acquisition du langage oral (comptines, chansons, contes lus, questions de compréhension, vocabulaire), du langage écrit (écriture cursive, dictées de lettres, de syllabes, de mots puis de phrases, premières bases de grammaire) et de la lecture.

Il requiert 2h30 de travail par semaine avec les parents, en parallèle d’une scolarité en école locale. Nos professeurs correcteurs sont expatriés ou anciens expatriés, sensibles à la question du bilinguisme et donc particulièrement bienveillants à l’égard de nos élèves expatriés.

Faut-il apprendre l’écriture cursive lorsque l’enfant écrit en script à l’école locale ?

Encore une grande question, récurrente. Quand on est parent et expatrié, il est normal de se poser cette question, car dans de nombreux pays on n’enseigne que l’écriture scripte. Et on se pose naturellement la question de savoir comment on va gérer l’écriture des enfants pour le retour dans un système français.

Avantage à la vitesse pour la cursive, avantage à la lecture pour le script ?

En fait ce n’est pas si simple. Si l’écriture cursive est indéniablement la plus rapide des deux, on s’est longtemps posé la question de savoir si apprendre à écrire en script permettait d’améliorer l’apprentissage de la lecture. La communauté pédagogique a en effet longtemps considéré qu’apprendre à écrire en script avait l’avantage de mieux préparer à la lecture (l’écriture cursive étant plus éloignée des caractères minuscules d’imprimerie). En fait, on s’est rendu compte récemment que cet avantage présupposé de l’écriture scripte était très sur-évalué et qu’au contraire, l’écriture cursive facilitait la lecture en séparant mieux les mots entre eux.

Bref, le débat est encore ouvert mais au Cours Griffon, nous sommes convaincus des bienfaits de l’écriture cursive et nous savons que cela constitue un élément de culture scolaire essentiel dans le système français. L’apprentissage de l’écriture cursive est donc proposé et recommandé dans notre programme de primaire, mais pas obligatoire.
Libre aux familles qui le souhaitent de ne pas la travailler, si, par exemple, elles n’ont pas de projet de retour en France au niveau primaire. Mais cela peut aussi représenter un petit entraînement sans aucune pression. Nous encourageons ceux qui le souhaitent à la travailler, mais nous ne sanctionnons pas les élèves expatriés qui écrivent en script. Lorsque les élèves ont des facilités par ailleurs, nous les encourageons au moins à essayer.

Quels conseils donneriez-vous aux parents qui vont se lancer prochainement ?

L’apprentissage de la lecture – écriture est certes une étape clé dans la scolarité de votre enfant, mais il ne faut pas en avoir peur. Il est possible d’apprendre à lire à son enfant, même sans être professeur.

Pour cela, il faut prendre son temps, surtout lorsqu’il y a 2 langues en parallèle, bien suivre les étapes proposées et ne pas hésiter à faire manipuler des lettres mobiles pour que l’enfant “s’imprègne” de la combinatoire.

À partir de l’étude des consonnes, il faudra absolument s’attacher à ne pas dire le nom des lettres mais à faire le « son » des lettres dans l’ordre rencontré dans le sens de la lecture. Exemple : dans « fa » on n’entend pas F » a » (èf’a) mais « ffff » » a » (ffffa).

Faites-vous confiance, faites confiance à votre enfant, ne lui mettez pas de pression.

Évitez toute comparaison avec un frère, une sœur, un ami… Chaque enfant est différent et va apprendre à son rythme, ce n’est pas une compétition. Ce qui « marche » avec un enfant peut échouer avec un autre.

Armez-vous de patience et de bienveillance, jouez sur la régularité (un petit peu tous les jours plutôt que beaucoup en une seule fois) et cela se passera très bien!

Soyez attentifs aux petits signes éventuels de blocage (une langue progresse très nettement plus vite que l’autre, un refus de lire dans l’une ou l’autre langue…) et n’hésitez pas à contacter l’équipe du Cours Griffon, nous sommes là pour aider nos élèves et leurs parents.

Merci beaucoup Juliette !

Pour en savoir plus sur les cours et méthodes du Cours Griffon pour le primaire, des parents partagent leurs expériences dans notre article : Le Cours Griffon pour le primaire : français spécial expatriés ou école à la maison.

Pour apprendre vous-même à lire en français à vos enfants vous trouverez dans cet article notre sélection de méthodes et ressources de profs pour chaque étape d’apprentissage.

Nous vous proposons également dans cette rubrique sur le maintien du français de nombreux articles pour vous aider à transmettre l’envie de lire à vos enfants et à vos ados.

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